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L’analyse réflexive

 

ou comment lier analyse de la situation de travail et analyse réflexive

L’Analyse de la situation de travail

Dans une situation de travail, il faut identifier deux dimensions essentielles.

  1. les éléments qui rendront l’action efficace. C’est-à-dire les éléments que l’opérateur prendra en compte pour que son action soit efficace. Ces éléments sont des variables qui vont se combiner lors de l’action. Ces éléments sont utiles au fonctionnement de la situation de travail.
  2. Les indicateurs. Un indicateur est ce que regarde l’opérateur pendant son action. Il faut identifier où et quelles informations utiles l’opérateur collectera pendant l’action pour s’assurer de son efficacité.

Il faut modéliser la situation de travail ou créer le « modèle opératif », la « structure conceptuelle de la situation » (1).

Les situations de travail réelles typiques et atypiques

La situation de travail réelle peut se présenter à l’opérateur de deux façons :

  1. Comme il l’avait prévu. Les faits seront conformes à ces attentes. Si les opérations sont mises en œuvre conformément à ce qui a été prescrit, l’action sera efficace. L’opérateur agit de façon académique. Il agit selon les savoirs, les savoir-faire qu’il a acquis lors de son apprentissage.
  2. Mais le contexte, l’environnement de la situation de travail peuvent ne pas être conformes au modèle de situation de travail de départ sur lequel a été formé l’opérateur. Avant d’être en situation, l’opérateur a des attentes vis-à-vis de la situation qu’il va rencontrer (« Normalement, je vais trouver telle ou telle chose … »). Or, la situation qui en réalité se présente à l’opérateur n’est pas conforme à ses attentes (« Finalement, je trouve … »). Ce dernier est déstabilisé. Il vit un conflit cognitif (« Comment agir? »). S’il ne réagit pas de façon opportune, ce seront les faits qui décideront. « Les faits auront raison » (2). L’opérateur doit donc s’adapter à la situation et agir sur la situation de travail. 

L’opérateur dans une situation de travail atypique

La façon d’agir efficace de l’opérateur sur sa situation et en situation sera singulière. Singulière, car liée au contexte spécifique du moment. Singulière, car liée à la personnalité de l’opérateur (liée à ses aptitudes personnelles, à son histoire personnelle …). La façon dont l’opérateur agit en situation de travail relève de son expérience. Ce qui nous intéresse, dans l’expérience de l’opérateur qui a agi dans une situation de travail inédite, c’est de savoir de quelle manière il s’est personnellement approprié les éléments qui font fonctionner le « système situation de travail ». Dans la pratique, l’opérateur, soucieux d’atteindre son résultat, a « trituré » le modèle. Ce qui nous intéresse, est moins de savoir quelles connaissances (savoirs, savoir-faire) l’opérateur a mobilisé que la façon dont il s’est comporté quand il a été confronté à la situation déstabilisante pour atteindre son but. Ce qui nous intéresse c’est son approche pragmatique et sa façon de suivre ses indicateurs. Ce qui nous intéresse c’est de comprendre et formaliser son habileté qui a joué un rôle important dans le succès de son action.

L’analyse réflexive : pourquoi ?

Le problème est que l’approche pragmatique de notre opérateur est invisible. Les concepts d’actions de l’opérateur sont invisibles. L’opérateur a conceptualisé son action, certes, mais de façon invisible. Il faut extraire de son expérience, son schème opératoire, ses savoirs professionnels et en tirer « la part de généralisation potentielle ».

L’analyse réflexive : comment ?

L’analyse réflexive se mène en plusieurs temps. Il faut faire raconter à l’opérateur son expérience, son histoire pour rendre intelligible son action.

Il faut prendre soin de lui faire « reconstituer l’intrigue pour comprendre l’épisode » (3). Il faut repérer les éléments qui ont afférés dans la situation parce qu’ils dépendent des circonstances (« Contrairement à  ce que je pensais trouver, finalement j’ai trouvé … »). Il faut repérer quel phénomène a agi sur quel autre phénomène. Il faut comprendre comment l’opérateur a agi pour le contrôler ou le rétablir. Comment l’opérateur a investi dans ces éléments pour agir. Comment l’opérateur donne du sens à tous ces éléments. Quelle est sa vue d’ensemble ?

Enfin, il faut élaborer « le modèle opératif généralisant » (4), le schème opératoire de l’opérateur qui lui permettra de passer d’un type de situation atypique à un autre.

Comment les gens se construisent leurs schèmes opératoires ?

Si nous considérons trois niveaux de professionnalisme (Débutant – Junior – Expert), nous pouvons estimer que le Débutant, n’ayant pas expérimenté en situation réelle, ne peut pas penser l’ensemble. Son schème opératoire n’est pas construit.

Le Junior, a bâti son schème opératoire mais sur un modèle simple, dans des situations réelles normales. Il a développé sa compétence.

L’Expert a bâti sa vue d’ensemble au-delà de la situation. Il arrive même à intégrer dans sa vue d’ensemble les parties prenantes qui interagissent sur la situation. Il est professionnel. Comme il a vécu des situations atypiques, éloignées du modèle simple, l’intérêt de l’analyse réflexive est de savoir pourquoi l’expert s’en sort. Quelles sont ses capacités d’adaptation ?

(1) (2)(3)(4) – Source : Pierre Pastré – « La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les adultes »  – PUF 2011.